Qu’est-ce que l’IA clandestine et pourquoi ce phénomène se produit
- Natasha Tatta

- 4 sept.
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 sept.

Qu’on l’appelle IA clandestine, IA fantôme* ou Shadow AI, ce phénomène gagne du terrain dans le monde du travail.
Il désigne l’utilisation d’outils ou de systèmes d’intelligence artificielle au sein d’une entreprise sans approbation officielle ni supervision adéquate. Les travailleurs autonomes sont aussi concernés, comme nous le verrons plus loin.
Autrement dit, il s’agit d’un employé qui contourne les règlements ou les politiques d’entreprise pour adopter un outil d’IA, en pensant bien faire ou simplement pour gagner du temps. Les scénarios sont multiples :
un employé qui utilise ChatGPT pour rédiger des courriels, préparer un rapport ou élaborer une présentation sans en informer son service de TI;
un analyste qui entraîne ou déploie un modèle d’apprentissage automatique sur une plateforme infonuagique externe pour accélérer ses analyses;
un gestionnaire marketing qui confie à un générateur d’images le soin de produire des visuels publicitaires sans passer par les canaux habituels de création et de validation;
un conseiller en service à la clientèle qui s’appuie sur un robot conversationnel grand public pour répondre à des clients, sans que les données échangées soient sécurisées;
un employé qui téléverse des documents d’entreprise sensibles dans un outil gratuit d’IA générative afin d’obtenir un résumé ou une traduction rapide.
Dans tous les cas, l’élément commun est le même : l’absence de transparence et d’approbation formelle de l’utilisation d’outils d’IA.
L’IA clandestine chez les travailleurs autonomes
Le phénomène d’IA clandestine ou fantôme ne touche pas seulement les grandes entreprises. Les travailleurs autonomes, les pigistes et les consultants sont eux aussi concernés, et les enjeux sont parfois encore plus importants.
En effet, ces professionnels gèrent souvent seuls leurs mandats, sans comité éthique ni service informatique pour les encadrer. La tentation est donc forte d’intégrer discrètement l’IA dans leur travail, surtout pour :
gagner du temps sur des tâches fastidieuses;
livrer plus rapidement afin de respecter des délais serrés;
réduire les coûts pour rester compétitifs face à la concurrence.
Quelques exemples concrets :
un traducteur ou un rédacteur qui s’appuie sur un outil d’IA pour effectuer son travail, sans le mentionner dans son contrat;
un consultant qui analyse les données de son client avec un outil d’IA, sans vérifier les conditions d’utilisation ni la protection des données;
un graphiste qui génère des visuels avec MidJourney, sans le préciser dans sa livraison.
Le risque principal ici est la rupture de confiance. Dans une relation de service, la transparence est primordiale : le client s’attend à savoir comment son mandat est réalisé, surtout lorsque des données sensibles ou des créations originales sont en jeu.
En cas de découverte, l’usage caché de l’IA peut :
nuire à la réputation du professionnel,
remettre en question la valeur réelle de son travail, voire
entraîner des litiges si le client considère que le service livré n’est pas conforme à ce qui avait été convenu.
La bonne pratique consiste donc à adopter une politique de transparence : indiquer clairement si et comment l’IA est utilisée, outre expliquer les bénéfices pour le client et la valeur ajoutée humaine (vérification, adaptation, expertise).
Autrement dit, pour les travailleurs autonomes, l’IA n’est pas un problème en soi, mais le manque de transparence et de communication, qui peut compromettre la crédibilité et entraîner des malentendus contractuels.
Pourquoi les travailleurs amplifient ce phénomène d’IA fantôme
La réponse est simple : parce que l’IA est efficace.
Les travailleurs cherchent avant tout à accomplir leur travail plus rapidement, à réduire les tâches répétitives et à produire des résultats de qualité. Or, les solutions approuvées par les entreprises ne répondent pas toujours à leurs besoins :
elles sont lentes ou limitées;
elles n’existent tout simplement pas;
leur mise en œuvre est trop longue à cause de lourdeurs administratives.
Engendrer l’IA fantôme devient alors un raccourci attrayant, sauf que les conséquences peuvent parfois être sérieuses.
Les caractéristiques principales de l’IA clandestine
⚠ Utilisation non régulée
Les employés ou les professionnels adoptent des outils de manière autonome, en contournant les processus d’approbation.
⚠ Risques de sécurité
Des données potentiellement sensibles sont traitées par des plateformes externes, parfois sans chiffrement ni garantie de confidentialité.
⚠ Divergence avec les politiques d’entreprise
Les outils ne respectent pas toujours l’infrastructure ou les règles éthiques de l’entreprise.
⚠ Gain d’efficacité
Malgré tout, des résultats immédiats et mesurables suffisent à adopter les outils d’IA en douce.
Les risques associés à l’IA clandestine
🚨 Violations de conformité
En Europe, utiliser un outil non approuvé qui traite des données personnelles peut violer le Règlement général sur la protection des données (RGPD). Au Canada, cela peut aller à l’encontre des lois provinciales sur la protection des renseignements personnels.
🚨 Fragmentation des données
Les données peuvent se retrouver éparpillées dans des outils non intégrés, créant incohérences et redondances.
🚨 Problèmes de qualité et de responsabilité
Si l’IA génère un résultat erroné, qui est responsable? L’employé, le fournisseur d’outil d’IA, l’employeur?
🚨 Atteinte à la réputation
Un contenu généré par IA et publié sans validation peut ternir l’image d’une entreprise s’il contient des erreurs ou des biais.
Les risques ne sont pas seulement organisationnels : l’adoption massive de l’IA soulève aussi des questions environnementales, nuancées dans : L’empreinte écologique de l’IA : Google lève enfin le voile.
L’IA clandestine (ou fantôme) en chiffres
Deux études récentes montrent l’ampleur du phénomène.
Sur plus de 5 000 travailleurs du savoir interrogés dans des entreprises en septembre 2024 aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, Section a constaté que :
11 % des entreprises interdisent explicitement l’IA, dont 43 % des employés l’utilisent régulièrement, 6 % au quotidien et 23 % au moins une fois par semaine;
26 % des entreprises n’ont aucune politique claire. Dans ce cas, 64 % des employés utilisent quand même l’IA, notamment 33 % chaque semaine;
La majorité de ces usages se fait avec des outils gratuits, moins sécurisés et moins performants.

Résultat : les employés qui vivent l’IA fantôme se sentent moins compétents et utilisent l’IA de manière moins efficace que ceux dont l’entreprise encadre positivement l’utilisation de l’IA.
L’étude, menée par Censuswide en mai 2025, s’appuie sur un échantillon de 4 000 employés de bureau à temps plein aux États-Unis, au Canada, au Mexique et au Brésil :
79 % des employés de bureau canadiens utilisent l’IA, mais seulement 25 % avec des solutions de niveau entreprise;
97 % estiment que l’IA améliore leur productivité;
46 % quitteraient leur emploi pour un employeur qui exploite mieux l’IA;
L’IA fantôme a ajouté en moyenne 308 000 $ aux coûts de violation de données en 2025.
Selon cette étude, les travailleurs canadiens considèrent l’IA comme un véritable levier de performance :
86 % se sentent à l’aise à utiliser l'IA;
80 % disent qu’elle leur libère du temps pour des tâches stratégiques ou créatives;
55 % gagnent entre une et trois heures de travail par semaine, 26 % jusqu’à six heures.
Principaux avantages cités :
exécution plus rapide (61 %),
meilleure gestion de la charge de travail (43 %),
précision accrue (40 %), et
créativité renforcée (39 %).
Ces chiffres montrent que l’interdiction ou le silence ne fonctionnent pas. Les employés trouvent toujours un moyen d’utiliser l’IA… tout comme les étudiants.
Dans quels secteurs le phénomène d’IA fantôme est le plus présent
Selon l’étude de Section :
12 % dans les soins de santé,
10 % dans l’éducation,
9 % dans le commerce de détail,
9 % dans l’alimentation,
8 % dans les finances,
7 % dans la consultation et les services professionnels.
Ces pourcentages sont parlants : plus un secteur est soumis à de fortes pressions (efficacité, manque de ressources), plus l’IA fantôme s’y installe.
Que faire pour gérer l’IA clandestine
✅ Mettre en place une gouvernance claire
Les entreprises doivent élaborer des politiques précises sur ce qui est permis ou non.
✅ Fournir des solutions sécuritaires et approuvées
Si on donne aux employés des outils efficaces, ils auront moins besoin de chercher ailleurs.
✅ Offrir de la formation
L’encadrement doit s’accompagner de formation à la fois technique (comment utiliser l’IA) et éthique (quand et pourquoi l’utiliser).
✅ Instaurer une culture d’innovation responsable
Encourager les employés à expérimenter, mais dans un cadre balisé.
✅ Pour les travailleurs autonomes : miser sur la transparence
Inclure dans son contrat de service une clause précisant l’utilisation de l’IA, expliquer à ses clients comment et pourquoi elle est employée, et indiquer clairement ce que cela implique en martière de qualité, de confidentialité et de responsabilité.
Le rôle du gouvernement, et des guides pratiques
Plusieurs initiatives visent à encadrer l’utilisation de l’IA. Ces ressources offrent de bonnes pistes pour une adoption de l'IA sécurisée et transparente :
Le dilemme des entreprises
Interdire l’IA ou ne rien dire revient à pousser les employés dans l’ombre. Résultat : plus de risques, moins de contrôle et, paradoxalement, une efficacité réduite. À l’inverse, approuver et encadrer l’IA permet :
d’augmenter la productivité,
de réduire les risques de sécurité,
de former une main-d’œuvre compétente, et
de bâtir une culture de transaprence et de confiance.
De l’ombre à la lumière : bâtir une culture d’IA responsable
L’IA clandestine ou fantôme, si vous préférez, n’est pas que du jargon. Il s’agit d’une réalité déjà bien installée dans les entreprises et chez les travailleurs autonomes. L’essor de ce phénomène révèle à la fois la soif d’efficacité et d’innovation, mais aussi le manque d’encadrement et de confiance.
Les chiffres sont clairs : interdire ou ignorer l’IA ne fonctionne pas.
Les employés continueront à l’utiliser, et de manière plus risquée et moins efficace. La voie à suivre est donc celle d’une adoption responsable, transparente et encadrée, où l’IA devient un levier collectif plutôt qu’un outil clandestin.
Ces questions de gouvernance et de transparence s’inscrivent aussi dans une transformation plus large de nos outils numériques, comme l’arrivée des navigateurs intelligents avec Claude
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*Deux traductions coexistent pour Shadow AI :
IA clandestine : terme le plus répandu dans les publications francophones en ligne (environ 37 900 résultats sur Google en septembre 2025).
IA fantôme : terme choisi par IBM dans ses communications récentes (environ 8 650 résultats sur Google en septembre 2025).
IA clandestine met l’accent sur l’idée d’agir dans l’ombre, sans approbation officielle, donc illégalement, tandis que IA fantôme insiste plutôt sur l’idée de quelque chose d’invisible, qui circule sans qu’on s’en aperçoive. Somme toute, les deux termes renvoient au même phénomène.
L’expression du phénomènre d’IA fantôme fait désormais son chemin dans la presse canadienne depuis la publication de l’étude d’IBM en septembre 2025… alors que nous, nous en parlions déjà en janvier, mais en employant le terme IA clandestine. Bref, Info IA Québec avait un peu d’avance sur le buzz 👻.

Natasha Tatta, C. Tr., trad. a., réd. a. Spécialiste langagière bilingue, Natasha conjugue la précision des mots et la portée des idées. Infopreneure et consultante en IA, elle accompagne les professionnel·le·s dans l’adoption de l’IA générative et le marketing de contenu. En parallèle, elle enseigne la traduction en TI à l’Université de Montréal.
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